1984

1984

1984, fin de l’adolescence et au collège. Le président Reagan pouvait peser sur le bouton rouge à tout moment. L’avenir était incertain, j’ai pris l’avion. J’ai atterri à Londres pour me retrouver dans un squat avec des hippies allongés sur des matelas pouilleux, qui se plaignaient que le monde était injuste. Ils m’ont informé d’une grande manifestation contre l’achat d’un sous-marin nucléaire nommé Trident qui allait avoir lieu en Écosse. On est monté en autobus direction Fastlane Peace Camp, un grand rassemblement de hippies, mais allongés dans des roulottes. Quelques-uns portaient un macaron où il était écrit « MILK MEANS MURDER ». Je ne l’ai pas compris tout de suite. Un jour en défaisant des boîtes de don de nourriture pour le camp, une fille s’est insultée à la vue d’une canne de “corned beef” franchement y’en a qui ne se gêne pas. J’ai dit d’un ton enthousiaste, “j’va le manger moi” sur a quoi elle à répliqué “mange le pas devant moi” En voyant l’incompréhension sur mon visage, elle a continué en m’expliquant que c’était la même chose que pour les non-fumeurs.

L’apogée est arrivée durant la manifestation. Il pleuvait…un défilé de limousines amenant des hommes à cravate vers leur réunion. On était là à frapper contre les vitres en criant quand une fille a plongé sur l’asphalte pour sauver un ver de terre. La limousine s’est arrêtée, la police assise sur leur cheval l’observait. Je me suis dit qu’il était temps que je décrisse. Je me voyais foncer dans une de leurs roulottes avec plein de cigarettes dans la bouche en mangeant du corned-beef. « MILK MEANS MURDER » 

(deuxième partie)

Biscuits pour Bumble

Je suis retournée au squat à Londres le temps de me trouver quelque chose à faire. C’était le temps du houblon dans le sud, mais arrivée là-bas, la saison était finie.  Dans le journal local, je suis tombée sur une annonce pour une famille qui cherchait une fille au pair. Au téléphone, une dame  m’apprend que’ elle a un enfant et le travail serait uniquement pour quatre semaines, car elle attendait une au pair d’un autre pays. Je croyais que les gens engageaient pour prendre soin de leurs jeunes enfants, mais Rupert avait mon âge. “Aimes-tu les chiens?” elle me demande avec un gros accent. « Oui, oui, j’aime les chiens” Ils habitaient une grande maison sur une colline entourée de fleurs, genre de maison qu’on voit dans les magazines. Tout le contraire du squat que je venais de quitter. En montant la côte, on est accueilli par un petit chien qui nous jappe après. En le voyant, je me  dis « C’est pas un chien ça, c’est une terminaison du nerf poilu ». Dans leur salon régnait son portrait, une peinture à l’huile avec petite lampe accrochée au-dessus et « Bumble » inscrit sur une plaque dorée. J’ai appris que les riches n’ont pas le même accent que les pauvres et que leur vie consistait principalement à recevoir. À part d’aider madame à cuisiner, mon travail consistait à faire bouffir les coussins dans le salon, garder, dans leur deuxième salon, le petit contenant de glaçons toujours rempli pour que le mari, en rentrant du travail, les aie pour ses « cocktails »; mais à chaque fois qu’il soulevait le couvert, le contenant était vide.

Ils avaient un appartement à Londres et avant leur départ elle me donne ses instructions pour la fin de semaine. « avant de te coucher le soir, ferme les rideaux au-dessus du lit a Bumble pour pas que le soleil le réveille le matin et donne lui trois biscuits au chocolat » La nuit arrivée je me dis “mange d’la marde Bumble” et me couche. Allongée dans mon lit je contemplais mon ennui. À leur retour elle demande, « Bumble a eu ses biscuits? » je lui répondu « non » d’un ton plat.

Un de leur souper allait avoir lieu dans la cuisine d’été, au bord de la piscine. Pour le dessert on a rempli de grosses pommes de sucre et cassonade. Avant de rejoindre ses invités, elle me demande de les sortir du four dans vingt minutes et les servir. J’ai bien suivi ses instructions, mais en les sortant, elles étaient toutes aplaties au fond du plat comme des pommes écrasées sur la route. La dame qui s’occupait de la buanderie se trouvait dans la cuisine. En voyant les pommes, elle était pliée en deux. « tu va pas leur servir ça!? » En quittant la cuisine, vers la piscine, je l’entendais continuer à rire. Arrivée là-bas, j’ai posé le plat au milieu de la table et j’ai vu, du coin de l’œil, sa face tombée. 

Un matin, je préparais des œufs brouillés pour Rupert. Sans rien dire ils les a mangé, mais aussi tôt que sa mère est arrivée dans la cuisine il dit « maman, Natalie ne sait pas cuire les œufs!! » En grattant le fond de la poêle, je pensais « P’tit crisse »

À la fin des quatre semaines, elle m’informe que si je veux rester, elle peut annuler l’autre au pair. Même Rupert a lancé un « Com’on Natalie »

J’oubliais toujours les glaçons, je leur servais des pommes effoirées, et je ne donnais pas de biscuit au chocolat à Bumble. Va comprendre, ils étaient gentils quand même.

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